Documentaire

Entretiens avec Michael Tilson Thomas

Boston, 1970 – Londres, 2013

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Le 22 octobre 1969, Michael Tilson Thomas remplaça William Steinberg au beau milieu d'un concert donné par le Boston Symphony Orchestra au Philharmonic Hall de New York. Steinberg, le nouveau directeur musical de l'orchestre, avait eu un malaise pendant qu'il dirigeait la Deuxième Symphonie de Brahms ; son jeune assistant de 24 ans, lui aussi fraîchement nommé, fut sollicité pour le remplacer après l'entracte et diriger un double concerto très difficile de Robert Starer, ainsi que Till Eulenspiegel de Strauss. « Un jeune homme grand et mince monta sur la scène, plein d'assurance et d'autorité, et démontra que sa confiance en lui-même n'était pas déplacée », écrivit Harold C. Schonberg le lendemain dans le New York Times. « C'était pour lui une occasion en or », poursuivit-il. « Monsieur Thomas connaît son métier, et nous entendrons encore parler de lui. »

Il est indubitable que la publicité générée par ces débuts newyorkais, aussi imprévus que prestigieux, stimula considérablement la carrière de Thomas. Cependant, dans une brève interview donnée au Times quelques jours plus tard, Allen Hugues observa que Thomas « n'était nullement un inconnu ébaudit qui saisit sa chance pour la première fois ». De fait, même à New York, il s'était déjà forgé une réputation de « chef d'orchestre spécialisé dans la musique d'avant-garde complexe » – c'est du moins en ces termes qu'il était dépeint dans la critique d'un récital qu'il avait donné au Town Hall avec le violoncelliste Laurence Lesser quelques mois auparavant. Malgré son jeune âge, il avait déjà collaboré étroitement avec quelques-unes des plus grandes personnalités musicales de l'époque, parmi lesquelles Stravinsky, Copland, Boulez et Heifetz.

Tilson Thomas commença à fréquenter le Boston Symphony Orchestra en 1968 à Tanglewood, résidence d'été de l'orchestre, où il obtint le prestigieux Prix Koussevitzky. L'été suivant, il fit ses débuts à Boston en chef invité à la tête du Boston Philharmonia, un ensemble coopératif lié à l'Université de Harvard. Steinberg, qui assista à la représentation, fut impressionné et lui demanda de devenir son assistant lorsqu'il prendrait la direction du BSO à l'automne suivant (le Boston Philharmonia était aux dires de tous un excellent ensemble ; Seiji Ozawa, Claudio Abbado et Alexander Schneider le dirigèrent eux aussi vers cette époque à titre de chefs invités).

L'interprétation des Three Places in New England de Charles Ives publiée ici provient d'un concert enregistré au Symphony Hall de Boston le 13 janvier 1970 ; ce concert reprenait un programme qui avait été joué à Boston au mois d'octobre précédent puis au Carnegie Hall, une semaine tout juste après les débuts inattendus de Thomas. Le concert s'ouvrait par la Symphonie n°98 en si bémol majeur de Haydn. Dans un portrait détaillé de Thomas paru dans The Boston Globe en novembre 1969, on peut lire que « il est très érudit et connaît les problèmes de la pratique d'exécution bien mieux que la plupart de ses collègues » – un commentaire certainement lié au fait qu'il avait récemment dirigé la symphonie à partir du clavecin. La composition d'Ives suivait celle de Haydn ; les Variations (Aldous Huxley in memoriam), la dernière œuvre pour orchestre de Stravinsky, et La Mer de Debussy constituaient la deuxième partie du programme.

La musique d'Ives a joué un rôle central tout au long de la carrière de Tilson Thomas, et elle est largement représentée dans sa discographie. De fait, le premier enregistrement orchestral du chef d'orchestre pour une des plus grandes maisons de disques – l'interprétation de Three Places in New England et de Sun-treader de Carl Ruggles pour Deutsche Grammophon, très appréciée et plusieurs fois primée – parut peu après les concerts donnés avec le BSO. L'enregistrement en public est légèrement plus fluide et souple que l'enregistrement en studio, mais tous deux privilégient un lyrisme aux lignes mélodiques amples plutôt qu'une rugosité syncopée. Dans une critique rédigée pour le Times à propos du concert de Thomas au Carnegie Hall, Allen Hughes résume succinctement la manière dont le chef d'orchestre aborde les compositions d'Ives : « Pour M. Thomas, elles ne sont ni des curiosités, ni des nouveautés à présenter en plaisantant, mais tout simplement une musique magnifique ». Dans ce même article, il dépeint également avec justesse la technique de direction limpide de Thomas comme « méthodique ». Et de poursuivre : « Ses gestes étaient le plus souvent précis et économes. Il ne bougeait guère sur le podium, utilisait une baguette et dirigeait avec partition. »

Cet enregistrement en public des Three Places d'Ives communique de manière saisissante l'enthousiasme du jeune Thomas pour un compositeur dont il s'est maintenant fait le champion depuis des décennies, tandis que ceux de la Quatrième Symphonie de Sibelius et de « Lever du jour et Voyage de Siegfried sur le Rhin » du Götterdämmerung de Wagner revêtent une grande importance car ils sont tout à fait inédits dans la discographie et la vidéographie de Tilson Thomas. Tous deux proviennent du même concert, donné le 10 mars 1970. La symphonie de Sibelius était précédée de l'Ouverture Egmont de Beethoven ; l'œuvre de Wagner suivait les Cinq Pièces pour Orchestre, op. 16 de Schönberg.

La Quatrième Symphonie de Sibelius a toujours été difficile à faire valoir. William Pierce observe dans le commentaire donné avant la représentation que le BSO ne l'avait plus jouée depuis trente ans (sous la direction de Koussevitzky). Comme pour Ives, Thomas aborde l'œuvre de manière essentiellement lyrique. L'introduction est sombre plutôt que tendue, mais la lecture s'enflamme au paroxysme de tension du développement central du premier mouvement. Craig Smith, à qui le Boston Globe avait confié la critique du premier concert de la série, déclara que Thomas était « sous tous les rapports à la hauteur des exigences de cette œuvre difficile ». Il nota également : « Si la représentation ne possédait pas cette régularité rythmique absolue qui permet à une œuvre diffuse comme celle-ci de prendre corps d'une manière convaincante, elle avait le mérite d'un soin extraordinaire dans la mise en évidence des textures intéressantes imaginées par Sibelius. »

Pour suivre l'enseignement de la petite-fille de Wagner, Friedelind, Thomas passa l'été 1966 comme chef assistant au Festival de Bayreuth. Cette année-là, Deutsche Grammophon enregistra Tristan und Isolde dans une exécution de Karl Böhm aux tempi rapides très controversée, et l'interprétation expressive et épurée que donne Thomas de « Lever du jour et Voyage de Siegfried sur le Rhin » possède la même intensité propulsive. De fait, Craig Smith, dans son article pour le Boston Globe, loua « le jeu brillant des cuivres » de l'orchestre et la « vitalité rythmique [de l'interprétation, qui] faisait du "Voyage de Siegfried sur le Rhin" une conclusion palpitante à un très bon concert ».

Andrew Farach-Colton
Traduction : Sophie Liwszyc

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