chef d'orchestre
compositeur
violoniste

Eugène Ysaÿe

July 16, 1858 - Liège (Belgique) — May 12, 1931 - Forest (Belgique)

Biographie

Berlin, 1912. Au centre de la scène, un violoniste virtuose entend tout à coup l’une des quatre cordes de son instrument éclater au beau milieu de sa performance. Pourtant, sous le regard médusé du public, il ne s’arrête pas et improvise au contraire des passages supplémentaires pour compenser la corde manquante. Cet artiste extraordinaire, c’est Eugène Ysaÿe, l’un des plus grands violonistes de la fin du 19e siècle. Loin d’être seulement un grand technicien du violon, Ysaÿe laisse derrière lui une carrière musicale riche, étonnante et exigeante. Soliste, d’abord, il fut l’un des plus grands interprètes de son temps. Grand chambriste, il collabora avec les meilleurs musiciens et fonda l’un des quatuors historiques du début du 20ème siècle. Producteur et Konzertmeister, il créa avec sa femme les concerts Ysaÿe et mena de son violon certains des plus grands orchestres du monde. Découvrez sur cette page la vie de l’un des musiciens les plus complets de son époque.

Vie personnelle

Eugène Ysaÿe nait le 16 juillet 1858 à Liège au sein d'une famille passionnée de musique. Son père, Nicolas-Joseph Ysaÿe, initie son fils très tôt à l’art du violon, qu’il pratique lui-même. Le jeune Eugène, visiblement doué, entre trois ans plus tard au conservatoire de Liège. Certains racontent que quelques années plus tard, Henri Vieuxtemps, l’entendant jouer par une fenêtre ouverte, décida de le prendre sous son aile. Légende de famille ou réalité, toujours est-il que Vieuxtemps accompagne dès lors le jeune violoniste dans toutes les étapes de son début de carrière. Celle-ci commence avec un premier prix au conservatoire de Liège. Ysaÿe part ensuite vers Bruxelles, pour étudier avec l’un des plus grands violonistes de son temps : Henryk Wienawski. Quelques années plus tard, il rejoint son premier maître à Paris, avec lequel il étudie pendant encore trois ans la technique du violon. Désargenté et en recherche de stabilité, Ysaÿe décide de tenter sa chance à Berlin et obtient le poste de Konzertmeister dans ce qui devait bientôt devenir le Philharmonique de Berlin.

C’est dans cette ville qu’Ysaÿe entame une vie de musicien accompli, faite de tournées et d’opportunités grâce auxquelles il rencontre Franz Liszt, Edvard Grieg et Anton Rubinstein. Il s’y fait un nom et multiplie les succès en tant que soliste et chambriste. Ysaÿe mène de front une carrière de Konzertmeister reconnu et une carrière tout aussi réussie de chambriste avec le Quatuor Ysaÿe, qu’il fonde en 1889. Il est également le fondateur d’une société de concerts qui propose des programmes sous le nom des Concerts Ysaÿe. Aux États-Unis, il effectue huit tournées dont la première fait escale à Carnegie Hall. Il accepte de prendre la tête, de 1918 à 1922, de l’Orchestre symphonique de Cincinnati.

En 1886, il épouse Louise Bourdeau, une pianiste talentueuse et amie proche. Elle devient non seulement sa compagne, mais aussi sa collaboratrice artistique. Ensemble, ils élèvent six enfants, dont deux fils, Antoine et Gabriel, suivent les traces musicales de leur père en devenant respectivement violoniste et compositeur.

Eugène Ysaÿe, le pédagogue

Pendant de nombreuses années, Ysaÿe enseigne le violon au Conservatoire de Bruxelles en parallèle de sa carrière de musicien. Il est l’héritier naturel des pédagogues de l’École de Liège, qui a émergé au 19e siècle et a été développée par les grands virtuoses belges de l'époque comme Charles-Auguste de Bériot et Henri Vieuxtemps. Il compte parmi ses élèves certains des plus grands noms du violon du 20e siècle. Parmi ses élèves les plus célèbres figurent notamment Arthur Grumiaux, Nathan Milstein ou encore Josef Gingold.

L’École de Liège accorde une grande importance à la sensibilité dans l’apprentissage du violon. Sans chercher à produire des virtuoses, Ysaÿe se concentre sur la manière de créer des musiciens sensibles au discours d’interprétation, qui n’utilisent la technique du violon que pour exprimer une émotion.

En tant que soliste reconnu, Ysaÿe contribue à faire connaître l'école belge du violon à l'échelle internationale. Grâce à son enseignement, certaines des plus belles œuvres de ses compatriotes belges deviennent peu à peu des classiques du répertoire pour violon soliste. C’est notamment le cas du Poème pour violon et orchestre de Chausson, composé par son ami compositeur comme cadeau de mariage, ou de la Sonate pour violon et piano de César Franck, qui lui est dédiée. Vous pouvez découvrir ici l’œuvre de Franck, compositeur qu’Ysaÿe admirait et appréciait plus que tout autre. Il en produit des interprétations remarquables, qu’il s’attache à transmettre à ses élèves.

Eugène Ysaÿe veut asseoir son influence sur la pédagogie du violon en créant le premier concours de violon belge d’envergure internationale. Alors qu’il est Maître de chapelle de la Cour de Belgique depuis 1912, la Reine Elisabeth de Belgique l’encourage à créer le Concours Ysaÿe, qui deviendra en 1951 le très prestigieux Concours Reine Elisabeth. Depuis lors, tous les quatre ans, les meilleurs jeunes violonistes venus du monde entier se surpassent pour atteindre la première place de ce concours qui leur assure un début de carrière retentissant.

Son œuvre

C’est évidemment autour du violon que se concentre la recherche créative d’Ysaÿe. En tant que compositeur, il s’attache à enrichir le répertoire de son instrument favori avec ses propres compositions. Parmi ses œuvres les plus célèbres figurent notamment les six sonates pour violon solo, écrites entre 1923 et 1924. Chacune d’entre elles est dédiée à un grand violoniste de l'époque, tels que Fritz Kreisler, Jacques Thibaud et George Enescu. Ysaÿe s’inscrit dans la continuité des sonates pour violon seul de Bach et cherche à atteindre des sonorités nouvelles, un style de jeu reconnaissable et une dramaturgie rarement atteinte dans les œuvres pour violon seul.

Immense chambriste, Ysaye a été à l’origine de la création de très nombreux quatuors à cordes. Debussy comme Saint-Saëns lui ont dédié certains de leurs quatuors à cordes tandis que Gabriel Fauré a écrit pour lui un quintette. Ce n’est pourtant pas dans ce répertoire, ni dans celui des concertos pour violon, qu’il a beaucoup exploré, que s’exprime son talent de compositeur. Ces formes, trop codifiées à son goût, lui offrent moins de possibilités d’exploration que la forme du Poème, selon lui « plus favorable à l’émotion et [qui] n’est astreinte à aucune de ces restrictions qu’oblige la forme consacrée du concerto ; elle peut être dramatique et lyrique, elle est par essence romantique et impressionniste ». De ce constat naît notamment son Poème élégiaque, qui rend un hommage poignant à son ami et mentor, le violoniste belge Henry Vieuxtemps.

Ysaÿe a toujours été extrêmement sensible à l’idée de proposer une musique nationale belge. Il travaille toute sa vie à faire du répertoire de son pays une musique vivante, jouée et interprétée. Sa dernière œuvre est ainsi un opéra en langue wallonne.

Virtuose, soliste, pédagogue, compositeur, Eugène Ysaÿe a marqué son époque par la densité de son apport à l’histoire de la musique. Son influence perdure aujourd’hui à travers le répertoire encore abordé par les jeunes violonistes, qu’il a largement contribué à façonner. L’esprit d’excellence et de transmission qui l’animait se perpétue chaque jour à travers le rayonnement du concours Reine Elisabeth.