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Christoph Eschenbach dirige Mahler, Symphonie n°5

Orchestre de Paris

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En partenariat avec Christoph Eschenbach, l'Orchestre de Paris et LGM

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La Cinquième Symphonie de Mahler fut l'une des partitions favorites de Daniel Barenboïm à la tête de l'Orchestre de Paris, dans les années 80, en tournée notamment. Depuis dix ans, elle s'est faite très rare. La voici enfin, presque ultime étape dans cette intégrale entreprise par Christoph Eschenbach.

C'est, de toutes les symphonies, probablement la mieux identifiée sinon la plus connue. Orchestre pur –alors que depuis dix ans il greffait le chant sur ses œuvres, elle inaugure une période sombre dans l'inspiration du compositeur. La symphonie d'ailleurs s'ouvre par une marche funèbre. L'adagio célébrissime, fait uniquement des cordes et des harpes, est l'expression musicale de la nostalgie la plus parfaite jamais écrite, posé avant un dernier mouvement rayonnant qui semble balayer tout désespoir avec lui.

L'œuvre est exceptionnellement morcelée et la conduire de bout en bout est affaire d'expérience.

Le 5 juin 1901, Mahler arrive à Maiernnigg, lieu-dit de la rive Sud duWörthersee, découvert l'été précédent, où il passera les étés de 1900 à 1906 – seule période de l'année durant laquelle il peut se livrer entièrement à la composition. Le chef de l'Opéra de Vienne y inaugure cette année-là la résidence qu'il s'est fait construire au bord des eaux turquoises du lac ; il a également fait bâtir un studio de travail en pleine forêt, au flanc de la colline qui surplombe le lac, où il se rend tôt chaque matin pour travailler en silence. C'est là qu'en cet été de 1901, il composera successivement trois des cinq Kindertotenlieder, un ultime Wunderhorn-Lied (Der Tamboursg'sell), les quatre Rückert-Lieder, ainsi que les trois premiers mouvements de la Cinquième Symphonie. L'œuvre sera achevée l'année suivante, au même endroit.

Un événement d'importance est toutefois survenu entre ces deux étés : le 9 mars 1902, Gustav Mahler a en effet épousé à Vienne une jeune femme de dix-neuf ans sa cadette, Alma Schindler (1879-1964), fille du peintre Emil Schindler. À en croire le chef d'orchestre Willem Mengelberg, grand ami de Mahler et l'un de ses plus ardents défenseurs, un mouvement au moins de la Cinquième Symphonie frissonnerait du souffle de cet amour tout neuf : le fameux Adagietto, îlot de paix posé au sein de l'œuvre. À quarante ans, Gustav Mahler se trouve à la fois au faîte de sa renommée et de sa puissance créatrice. La Cinquième Symphonie témoigne ouvertement de cette respiration de grande ampleur, qui engageait le compositeur à voir lui-même dans la « force inouïe » du Scherzo l'expression de « l'homme dans la pleine lumière du jour, parvenu au point le plus haut de son existence ». Manière d'autoportrait qui n'empêchera pas maints remords. De fait, Mahler soumettra jusqu'en 1909 sa partition à d'incessantes révisions. Insatisfaction qui reflète les changements notables dont témoigne cette symphonie, d'une densité polyphonique qui « exigeait un renouvellement totale de l'orchestration » (Bruno Walter).

Qualifiée par Furtwängler de « première symphonie nihiliste de l'Occident », la Cinquième de Mahler montre pourtant une marche ascendante menant continûment d'une douleur sans espoir à l'expression d'une énergie vitale rayonnante. Quoiqu'en cinq mouvements, l'œuvre suit un découpage global en trois volets, selon une structure symétrique ordonnée autour du troisième mouvement (le plus long des cinq), centre et pivot de l'œuvre, flanqué de part et d'autre de deux mouvements enchaînés. Introduite par une implacable sonnerie de trompette empruntée au premier mouvement de la Quatrième Symphonie (composée durant les deux étés précédents), la marche funèbre initiale montre un caractère inexorable que rien ne parviendra à infléchir. « Résignation » semble être le maître mot d'une musique pesante, qui étouffe toute larme et toute consolation pour conserver d'un bout à l'autre le visage terrifiant du deuil marchant au pas. Comme sortie du premier mouvement, la tourmente inaugurée par le deuxième mouvement a pour première vertu de rompre la prostration étouffante de la marche funèbre, avec laquelle ce mouvement entretient un rapport thématique étroit. Sans lever de véritable espoir, l'ardeur de ce deuxième mouvement donne au moins à la douleur cet élan de révolte qui lui a été jusque-là refusé, qui s'exprime ici avec une véhémence presque libératrice. Musique tumultueuse, nerveuse, traversée ici et là par l'ombre de la marche funèbre initiale, qui peut sembler un temps s'apaiser pour rêver ou chanter, mais que rattrape l'urgence de la course. Elle débouche sur un choral libérateur, qui éclate aux cuivres et décharge enfin le ciel de la noirceur accumulée.

Centre de gravité de l'œuvre tout entière, le vaste scherzo qui sert de jonction entre les deux volets de la symphonie apporte un changement de décor radical. Véritable invitation à la danse, il montre une expression tout en vitalité, pétillante, forcenée, d'une éblouissante santé sonore, qui cède ici et là aux accents du Laendler ou de la valse. Nourri de thèmes simples et robustes, ce scherzo enchâsse divers épisodes, dans une structure à la fois solide et complexe qui explique que Mahler ait pu comparer ce morceau à l'architecture des cathédrales gothiques, dont la « confusion apparente se résout en un ordre et une harmonie suprême ». Manière d'introduction au dernier volet de la symphonie (comme la marche funèbre l'avait été au premier), le célèbre Adagietto posté en quatrième mouvement déroule un rêve tendre et serein, tout enroulé dans la chaleur des cordes, sous le grain d'une harpe en arpèges perpétuels. Instrumentation dépouillée qui souligne l'espèce d'arrêt que ce mouvement glisse au creux d'une œuvre de grande ampleur. Musique suave et évidente, dont le sourire et l'immobilité paisible écartent définitivement tout cauchemar, pour préluder à l'allégresse du Finale. Issu de ce mouvement lent comme le deuxième l'avait été de la marche funèbre, le Rondo- Finale reprend à la fois l'insouciance et la thématique de l'Adagietto, dont il fait de partout déborder la coupe. D'abord aux aguets, il s'envole rapidement dans un jeu perpétuel monumental, où l'alternance refrain/couplet de la forme rondo s'associe à une écriture fuguée richement élaborée, reflet des lectures des œuvres de Bach auxquelles Mahler se livrait alors. Il mènera à une coda exubérante qui offre à l'œuvre une conclusion jubilatoire, bien loin des accents funèbres du début.
Alain Galliari

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