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Christoph Eschenbach dirige Mahler, Symphonie n°4

Orchestre de Paris

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Christoph Eschenbach — Chef d'orchestre

Programme

En partenariat avec Christoph Eschenbach, l'Orchestre de Paris et LGM

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La Quatrième symphonie est une œuvre courte et dense, pour un orchestre classique, qui évoque Haydn pour son côté champêtre et Beethoven pour son adagio serein et grave, qui rit et pleure.

Mahler est rentré à Vienne, est devenu le directeur de l'Opéra. La vie lui sourit. Cette symphonie s'associe naturellement aux cycles de Lieder car Mahler lui fait un final chanté. C'est dans le recueil du Knaben Wunderhorn, le Cor magique de l'enfant, qu'il en prend le texte décrivant la vie d'abondance, gourmande et rassasiée, au Paradis. Ce paradis naïf de l'enfance et de l'imagerie populaire.

Tournant du siècle, les années 1899 à 1901 apparaissent aussi comme telles dans l'univers musical de Gustav Mahler. Composée en 1899 et 1900, la Quatrième symphonie en témoigne, par un néoclassicisme inattendu, plein de charme et de facétie. À quarante ans, Mahler semble marcher ainsi vers un horizon nouveau, dont le tragique ne serait plus l'unique perspective. L'évolution s'avère en vérité moins un tournant qu'une parenthèse : les œuvres suivantes suffiront à le dire. Elles n'en rendent que plus précieux ce moment de grâce soudain ouvert dans le sombre univers du musicien viennois.

Après le gigantisme « prométhéen » des trois premières symphonies, la Quatrième de Mahler, par sa grâce enfantine et un allégement volontaire des moyens, prend presque des allures d'intermède néoclassique. Composée durant le repos des mois d'été de 1899 et 1900, l'œuvre a d'emblée été conçue en effet comme une « humoresque », selon le titre que Mahler lui a d'abord donné. À la fois « conte de fées » et « évocation de Haydn » selon Bruno Walter, l'œuvre rend un hommage appuyé au classicisme viennois : par sa coupe (quatre mouvements), sa relative brièveté (dans l'univers mahlérien s'entend), une écriture d'un clair contrepoint, la taille modeste d'un orchestre sans trombones ni tuba, et une grâce générale aimable et distinguée. Évocation de l'enfance oblige, dira-t-on, puisque tel semble être le thème sous-jacent de l'œuvre.

Si souriant soit-il, le tableau se montre toutefois flétri par l'irruption ici et là de grimaces inquiétantes. L'ambivalence apparaît d'ailleurs dès les premières mesures, secouées de bien étranges grelots (évocation d'un quelconque jouet ? ou anticipation de la danse macabre qui mènera le bal au deuxième mouvement ?). Elle ne cessera de se confirmer, avec l'intrusion insistante de tournures ironiques, de cocasseries instrumentales aigres-douces, de cortèges de fanfares grinçantes, dont la touche ombrageuse vient sans cesse mordre le climat général de jeu et d'innocence. Ces ombres incertaines et menaçantes, qui donnent lieu à une orchestration étonnamment neuve, reculent d'ailleurs à partir de l'adagio, pour laisser place dans le Lied final à une voluptueuse musique de chérubins – dessinant ainsi une progression générale rassérénée, où le paradis menacé de l'enfance trouve un contrefort souriant dans le rêve d'une vie éternelle tout en délices et en quiétude.

« Symphonie des jouets » d'une allégresse un peu exubérante, le premier mouvement déploie d'emblée un charme épineux, marqué par l'usage de couleurs instrumentales insolites et de tournures stylistiques ironiques, dans une écriture ciselée plus proche de la musique de chambre que des redondances orchestrales. L'ambiguïté de l'allégresse initiale se confirme rapidement, lorsque apparaît ici et là les appels lancés par les bois (marqués « Pavillon en l'air ! »), puis les accents inquiétants des trompettes jouant avec sourdine, qui se résoudront finalement dans une lointaine sonnerie funèbre. Ce climat incertain passe un nouveau cap avec le deuxième mouvement, qui déroule une danse des morts entêtante, menée par un violon solo accordé un ton plus haut, marqué « Comme un Fiedel » (en référence aux traditionnels violoneux d'Europe centrale).

« Féerie étrange et inquiétante » (Bruno Walter), ce scherzo perpétuel déroule des sonorités rudes et contrastées, où les raclements du crincrin se superposent à des imitations d'orgue de barbarie, d'orchestres villageois, et des éclats coupant de harpe ou de cuivres bouchés. Paisible et grave tout à la fois, le troisième mouvement apporte moins un véritable apaisement qu'une promesse que le Lied final viendra réaliser. En forme de variations alternées (tour à tour majeures et mineures), il dessine une marche vers la lumière et la légèreté, dans de continuels changements de tempo qui transforment régulièrement l'adagio initial en mouvement de danse. Paysage en constante évolution, troué ici et là de bouffées d'angoisse et de vertigineuses chutes de cuivres, sur lequel un ultime et glorieux épisode lève un voile où perce enfin le salut apporté par le quatrième et dernier mouvement, où s'introduit la voix. Conclusion et aboutissement tout à la fois, le Lied avec orchestre « La Vie céleste » (Das himmlische Leben) a paradoxalement constitué à l'origine la source d'où est sorti l'ensemble de la Quatrième symphonie.

Composé sur un poème extrait du recueil Des Knaben Wunderhorn, il est en effet repris d'une composition de 1892, que Mahler avait d'abord pensé intégrer à sa Troisième Symphonie – sous le titre « Ce que me dit l'enfant ». « Tableau des délices enfantines » et « symbole de la félicité éternelle » (Bruno Walter), ce chant d'ange à la fois gai et serein réalise en musique les félicités promises et attendues. Mahler dira un jour à son sujet : « Lorsque l'homme, émerveillé mais dérouté, demande ce que tout cela signifie, l'enfant répond dans le quatrième mouvement : Telle est la vie céleste ! » Agile et gracieux, le mouvement s'établit dans une atmosphère de féerie à l'autrichienne, avec des sauts de voix en quasi tyrolienne. Les grelots du début trouvent ici une saveur définitivement douce et les trompettes bouchées acquièrent un ton facétieux inattendu. La musique serait- elle la seule voie d'accès au réconfort du Paradis ? C'est bien ce que Mahler semble indiquer ici, lorsque profitant de l'affirmation final de l'ange (« Aucune musique sur terre n'est comparable à la nôtre »), il donne à son œuvre une conclusion définitivement apaisée, par une musique d'une douceur suave – réplique sonore des angelots dorés et joufflus qui ornent les églises baroques d'Europe centrale.

Malgré sa verve joyeuse, la Quatrième Symphonie connut l'honneur des sifflets et des railleries journalistiques lors des premières exécutions. Le public pas plus que la critique ne comprirent les intentions du musiciens, qu'ils prirent pour une lubie nouvelle, plus plate et plus artificielle simplement que le style bigarré et plantureux des œuvres précédentes. Choqués par l'artifice en second degré de l'œuvre, les premiers auditeurs ne surent pas discerner la vérité du regard affectueux que Mahler voulut porter ici sur l'innocence perdue de l'enfance ; ils ne se montrèrent pas non plus sensibles à ce qui nous apparaît depuis si frappant : la nouveauté de l'écriture et un raffinement au sens strict du mot merveilleux.

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