Ses études et ses influences musicales
Au sortir de la guerre, Stockhausen cherche encore sa voie entre littérature et musique. Il écrit des poèmes, des nouvelles, des pièces radiophoniques, mais peu à peu la composition s’impose. Soutenu par ses professeurs, il signe ses premières œuvres : les Chöre für Doris – dédiés à Doris Andrae, qu’il épouse en 1948 et avec qui il aura quatre enfants –, les Drei Lieder, et une Sonatine pour violon et piano diffusée à la radio en 1951. Cette même année, il s’inscrit aux cours d’été de Darmstadt, haut lieu de l’avant-garde musicale. Il y rencontre Luigi Nono, assiste aux expériences de musique concrète de Pierre Schaeffer, et découvre pour la première fois le Mode de valeurs et d’intensité de Messiaen, œuvre qui orientera profondément ses recherches à venir. Fasciné par ces enseignements, Stockhausen s’installe à Paris en 1952. Il devient l’élève de Darius Milhaud et surtout d’Olivier Messiaen, dont l’enseignement le marque durablement. Il rencontre également Pierre Boulez, qui l’introduit au Club d’Essai de Schaeffer, où il mène ses premières expériences avec le son et l’électronique.
Premières œuvres et immersion dans l'avant-garde
À Paris, Stockhausen s’initie au domaine expérimental en travaillant au Groupe de musique concrète de Pierre Schaeffer, futur G.R.M. (Groupe de Recherches Musicales), et compose son Etüde (1952) de musique concrète. Il y découvre le concept des « objets sonores », c’est-à-dire des sons enregistrés et traités comme des entités autonomes, analysés pour leurs qualités intrinsèques (hauteur, timbre, durée, dynamique) et combinés de manière expérimentale. C’est dans ce contexte que naissent ses premières œuvres majeures, profondément ancrées dans le sérialisme intégral et la musique sérielle : Kreuzspiel (1951), Punkte (1952, révisé en 1962), Kontra-Punkte (1953) et les premiers Klavierstücke (1952-1953). Si ces compositions révèlent déjà toute la singularité de sa pensée musicale, Stockhausen se lasse vite de cette approche qu’il juge trop restrictive, et part en quête de nouvelles stimulations. En 1953, il trouve une nouvelle source d’inspiration auprès d’Herbert Eimert, qui vient de fonder avec Robert Beyer le Studio de musique électronique de la Radio de Cologne (WDR). Stockhausen y approfondit ses recherches sonores, en se concentrant sur l’électronique, et jette les bases de son futur rôle de directeur du studio à partir de 1962.
Les œuvres majeures de Karlheinz Stockhausen
Stockhausen, la musique électronique et l'innovation technologique
Dans les années 1950, poursuivant sur la voie ouverte à Paris et au WDR, Stockhausen approfondit ses recherches sur la musique électronique et l’organisation du son. Il étudie à l’Université de Bonn la théorie de la communication et la phonétique avec Werner Meyer-Eppler, qu’il considèrera d’ailleurs comme son meilleur professeur. Mais c’est à travers la composition électroacoustique que Stockhausen trouve sa véritable voix. Entre 1953 et 1956, il compose Studie I (1953) et Studie II (1953), premières œuvres électroacoustiques allemandes, qui inaugurent un genre nouveau, baptisé Elektronische Musik. Avec Gesang der Jünglinge (1955‑1956), il écrit un véritable tournant : pour la première fois, cette œuvre combine sons concrets et sons électroniques. De cette relation naissent des textures et des timbres jusque-là inédits, illustrés également dans ses œuvres Gruppen (1955‑1957), Carré (1959‑1960) et Kontakte (1958‑1960). En parallèle, il expérimente des principes de composition novateurs. Il introduit le hasard dans la composition et l’interprétation grâce au principe de la musique aléatoire : certaines décisions sont laissées à l’interprète, ce qui permet à la pièce d’être différente à chaque exécution, comme dans le Klavierstück XI (1956). La Momentform, concept propre à Stockhausen, structure quant à elle la musique en « moments » autonomes, chacun formant une entité complète mais reliée à un tout – l’œuvre. Le compositeur y contrôle entièrement la succession et l’organisation des moments. On retrouve l’essence de ce principe dans son œuvre Momente (1962‑1969).
Le monumental cycle Licht et la recherche spirituelle
Pour Stockhausen, la musique ne se limite pas à l’expérience auditive : elle agit sur le corps et l’esprit. Dès Gruppen (1955‑1957) ou Kontakte (1958‑1960), il s’interroge sur la durée maximale supportable par l’oreille et sur l’effet de la musique sur le subconscient. Cette recherche aboutit à des œuvres spectaculaires, comme le quatuor Helicopter (1995), où chaque musicien joue dans un hélicoptère distinct, dans une parfaite illustration de son obsession pour la spatialisation, le mouvement et la fusion de l’art avec la technologie. Lors d’échanges avec un psychothérapeute, il en conclut qu’une exposition prolongée à ce type de musique peut provoquer « un état d’agressivité et d’extériorisation brutale ». Cette réflexion sur la puissance et à la dimension rituelle de la musique conduit à l’idée d’une humanité qui ne ferait qu’un avec l’œuvre musicale. Le cycle monumental Licht, composé sur 25 ans, en est l’ultime résultat. Regroupant sept opéras correspondant chacun à un jour de la semaine, il met en scène Michaël, Ève et Lucifer, incarnations respectives de la force créatrice, de la vie et des forces opposées. Chaque opéra du cycle raconte leurs interactions, conflits et unions dans un univers où la voix, les instruments, l’électronique et la danse sont utilisés de manière équivalente. Ainsi, Donnerstag aus Licht (1981) suit Michaël de l’enfance à l’âge adulte, tandis que Sonntag aus Licht (1998–2003) explore l’union mystique d’Ève et Michaël. Au terme de ce cycle, l’homme, Michaël, s’élève pour devenir archange. Pour Stockhausen, Licht est l’expression de son idéal de musique méditative : le cycle devient un modèle de transcendance universelle, où musique, rituel et spiritualité dialoguent dans un continuum sonore hors du temps.
Stockhausen sur medici.tv
Des opéras monumentaux du cycle Licht aux expérimentations radicales des Klavierstücke, les œuvres les plus marquantes de Karlheinz Stockhausen sont sur medici.tv ! La plus grande plateforme de streaming dédiée à la musique classique réunit des milliers de concerts et d’opéras, avec les plus belles interprétations du répertoire classique et contemporain. Plongez sans attendre dans l’univers sonore unique de ce compositeur visionnaire, où spiritualité, innovation et audace s’entrelacent pour donner naissance à l’une des aventures musicales les plus fascinantes du 20e siècle. Et pour aller plus loin dans le répertoire contemporain, explorez les plus beaux opéras contemporains, et découvrez une archive précieuse : Stockhausen interprété par Pierre Boulez et son légendaire Ensemble intercontemporain, dans une rencontre historique entre deux figures illustres de la musique contemporaine.
L'héritage et l'influence de Stockhausen sur la musique contemporaine
Stockhausen, figure controversée et admirée
Si la spiritualité occupe une place centrale dans la création de Stockhausen, elle a aussi nourri la controverse. La plus célèbre reste sa réaction aux attentats du 11 septembre 2001, qu’il qualifia, dans un premier temps, de « plus grande œuvre que le cosmos ait jamais créée ». Ces propos, choquants pour le monde entier, révèlent pourtant un aspect essentiel de l’artiste : sa fascination pour la puissance extrême qui unit l’être humain et la musique, cette intensité violente qu’il cherchait à capturer dans son cycle Licht. Comme il l’expliquait : « Que des esprits atteignent en un seul acte ce que nous musiciens ne pouvons pas concevoir, que des gens s’exercent fanatiquement pendant dix ans, comme des fous, en vue d’un concert, puis meurent… 5 000 personnes sont concentrées sur une représentation et sont poussées, en un instant, vers la résurrection. Je ne pourrais jamais y arriver. Face à cela, nous autres compositeurs, nous ne sommes rien. » Face à l’indignation générale, Stockhausen finit par retirer ses propos. Cette radicalité se retrouve aussi dans son exigence envers les interprètes, notamment lors des cours de Darmstadt, où il imposait sa vision sans compromis. Son rapport au sacré et au cosmos, affirmant que ses œuvres lui étaient « dictées » par des entités supérieures, a nourri le mythe d’un créateur mystique et visionnaire. Autant admiré pour son audace et son génie novateur que critiqué pour son radicalisme provocant, Stockhausen incarne un univers musical extrême dont les revendications flirtent dangereusement avec la polémique.
Son héritage au 21e siècle
Si son rapport à la musique populaire a toujours été ambigu, le rôle de Stockhausen dans l’évolution du rock vers des formes expérimentales – psychédélisme, free, krautrock – est indéniable. Dans les années 1960‑1970, il fut le professeur de musiciens comme Jerry Garcia et Phil Lesh des Grateful Dead, ainsi que de Grace Slick de Jefferson Airplane. Il devint également une inspiration majeure pour les pionniers du krautrock, tels Holger Czukay et Irmin Schmidt de Can. L’artiste islandaise Björk cite elle aussi Stockhausen parmi ses influences, notamment pour son travail de recherche sonore et l’aspect essentiellement expérimental de son approche. En parallèle, ses recherches en musique électronique (Kontakte, 1959‑1960), bien avant l’apparition des synthétiseurs, ont marqué des groupes comme Kraftwerk ou Aphex Twin. L’héritage de Stockhausen est donc toujours bien vivant, perceptible dans la musique contemporaine, dans l’électro, le rock expérimental et au-delà. Figure centrale de la musique contemporaine du 20e siècle, il est considéré par beaucoup comme l’un des pères de la scène électronique actuelle. Son esprit novateur et son ambition géniale ont tracé de nouvelles voies d’expression de la musique, renouvelé les méthodes de composition et laissé une empreinte durable sur le paysage musical des décennies et siècles à venir.