Concert

Benjamin Britten dirige Tchaïkovski et Britten — Avec Mstislav Rostropovitch

English Chamber Orchestra (Aldeburgh, 1969-1970)

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Certaines parties de ce programme sont actuellement inaccessibles

Casting

Mstislav Rostropovitch — Violoncelliste

Peter Pears — Ténor

The Aldeburgh Festival Singers

English Chamber Orchestra

Benjamin Britten — Chef d'orchestre

Programme

Des archives – en couleur ! – de deux géants du 20e siècle musical, Benjamin Britten et Mstislav Rostropovitch, réunis à Aldeburgh en juin 1968.

Ces enregistrements offrent une vue d'ensemble des années les plus passionnantes de la carrière de Mstislav Rostropovitch, durant lesquelles il se fit un nom en Occident, fut banni de son pays pour avoir soutenu divers artistes dissidents, et s'affirma comme un ambassadeur du bien (et pas seulement de l'excellence musicale) de premier plan. Lorsqu'il disparut en 2007, il était devenu un mythe culturel, décoré justement cette année-là de la Médaille d'or Mozart de l'UNESCO. Ces enregistrements offrent aussi un aperçu inhabituel sur Britten lui-même.

Lors de ses débuts occidentaux à Liège, en 1963, Rostropovitch était apparu comme l'un des musiciens majeurs de l'Union soviétique. Par l'entremise de son ami et professeur Dmitri Chostakovitch, il fut présenté à Benjamin Britten. Il inspira à ce dernier sa Symphonie pour violoncelle, créée à Moscou en mars 1964, puis ses trois Suites pour violoncelle – sans doute le corpus de musique pour violoncelle seul le plus important depuis les Suites de Bach. Tout cela transparaît nettement sur ce disque, notamment l'association qui a uni Rostropovitch à Benjamin Britten et, à travers celui-ci, l'implication du violoncelliste dans le Festival d'Aldeburgh. Depuis 1948, année où, écœuré par la manière dont le régime stalinien traitait Chostakovitch, son professeur de composition, il avait rendu sa carte d'étudiant du Conservatoire de Moscou, Rostropovitch était toujours là quand il fallait prendre position, et il le faisait à travers sa musique. Vingt ans plus tard, l'année du concert d'Aldeburgh présenté ici, il se produisit aux Proms de Londres, jouant le Concerto de Dvorák avec un orchestre soviétique le lendemain du jour où les troupes du Pacte de Varsovie avaient envahi la Tchécoslovaquie. L'intensité de son interprétation, dans un contexte politique très tendu, est quelque chose que tous ceux qui assistaient au concert n'oublieront jamais.

C'est peu de temps après avoir rencontré Britten que Rostropovitch fut invité régulièrement au Festival d'Aldeburgh, notamment pour le premier concert télévisé retransmise depuis la salle de Snape Maltings dont on peut voir ici un extrait. Ce témoignage est d'autant plus poignant qu'il s'agit pratiquement des seules images filmées que nous ayons de cette salle telle qu'elle était avant d'être détruite par un incendie en 1969 ; elle fut reconstruite juste à temps pour l'édition 1970 du Festival, comme on le voit sur le bonus dans la deuxième partie de ce programme.

Tchaïkovski écrivit les Variations sur un thème rococo pour Wilhelm Fitzenhagen, l'un de ses collègues enseignants du Conservatoire de Moscou, qui en donna la création dans la capitale russe en novembre 1877. Tchaïkovski permit à Fitzenhagen d'apporter de profondes modifications à son ouvrage, et ce n'est qu'en 1941 que l'on redécouvrit les intentions originales du compositeur. Toutefois, Rostropovitch déclara qu'il n'avait pas de raison de rejeter l'arrangement de Fitzenhagen puisqu'à l'époque celui-ci avait bénéficié de l'approbation de Tchaïkovski qui autrement n'en aurait pas autorisé la publication.

La prestation de Rostropovitch à Aldeburgh nous le montre au faîte de ses capacités et c'est un merveilleux exemple de son partenariat avec Britten, que l'on a ici l'occasion rare de voir diriger. Porté par le compositeur, le thème semble s'élargir sous l'archet de Rostropovitch, comme si la musique était écrite sous nos yeux. La variation lente est audacieusement suspendue, avec des moments d'une intensité époustouflante, et les sections rapides et virtuoses de la coda sont jouées avec une dextérité renversante, le son et la justesse ne faiblissant jamais, même sur les notes les plus aiguës.

Le sujet des profondes modifications de Fitzenhagen revint sur le tapis dix ans après la création des Variations quand Anatoly Brandoukov, l'un des élèves de Fitzenhagen pour qui Tchaïkovski écrivit le Pezzo capriccioso, demanda au compositeur s'il comptait revenir à son idée originale. Tchaïkovski aurait répliqué : "Oh, la barbe! La partition peut bien rester comme ça." Il composa le Pezzo capriccioso en une semaine, en 1887. Bien qu'il s'agisse d'une œuvre de proportions plus réduites que les Variations, Rostropovitch lui insuffle tant de poésie et d'intensité que l'on a l'impression d'entendre un morceau bien plus substantiel.

La deuxième partie de ce programme présente trois extraits de l'opéra Gloriana de Britten (Gloriana était le nom poétique que l'on donnait au XVIe siècle à Elisabeth Ier) forment une contribution d'une très grande importance à la discographie du compositeur. Cet opéra, qui s'appuie sur le livre Elizabeth and Essex de Lytton Strachey, a été composé pour le Couronnement d'Elisabeth II en 1953. La création eut lieu en juin à Covent Garden sous la direction de John Pritchard, à la stupéfaction générale d'un auditoire brillant. Après avoir été présenté en tournée en 1954, l'opéra disparut pratiquement totalement de la scène, à l'exception des Danses de cour du deuxième acte jouées parfois en concert . On commença à le réentendre de nouveau après sa révision effectuée par Britten en 1966. Cette représentation, qui marqua la réouverture du Snape Maltings Hall en juin 1970, eut lieu en présence de Sa Majesté la Reine, mais Gloriana dut attendre jusqu'en 2003 pour obtenir une représentation intégrale à Aldeburgh, en version semi-scénique, pratiquement pour le cinquantième anniversaire de sa création. Bien que Britten ait dirigé les enregistrements de la plupart de ses opéras au disque, Gloriana ne fait pas partie du lot. Cet enregistrement est donc la seule trace que nous ayons de sa conception de l'œuvre. Si Britten était interprète fort respecté de la musique des autres compositeurs, sa manière de diriger ses propres œuvres se situe sur un tout autre plan. Ses gestes sont plus libres et son énergie plus grande.

Les passages bien choisis entendus ici, qui constituent une suite de concert inhabituelle, comprennent le tournoi du premier acte, la mélodie accompagnée au luth, également au premier acte, et des extraits du troisième acte organisés à la manière d'un flashback incluant un rappel du chœur d'hommage et la mélodie avec luth quand la Reine, âgée, se remémore le cours de sa vie. Le tournoi entre Essex et Lord Mountjoy, deux rivaux luttant pour les faveurs de la Reine, est un paysage sonore énergique, de traits rapides aux cordes, et d'exclamations chorales complexes.

La mélodie avec luth se situe à la fin du premier acte, c'est Essex qui la chante dans un entretien privé avec la Reine. Cette interprétation est un événement d'une grande importance. En effet, le rôle d'Essex a été créé par Peter Pears, le partenaire et la source d'inspiration de Britten tout au long de sa vie. Il reprend la mélodie ici en présence de la Reine, à qui elle est dédiée. Il semble cependant que la Reine n'ait pas été trop enthousiasmée à l'origine par cette œuvre, mais elle a sûrement été consultée pour la programmation de ce concert. Dans l'opéra, la mélodie est chantée à la dernière reine de la dynastie des Tudor; dans ce concert, elle est chantée en présence de la Reine actuelle avec, semble-t-il, un sentiment d'émotion intense aussi bien envers Sa Majesté qu'envers Britten lui-même.

Chris de Souza
Traduction : David Ylla-Somers/Jean-Jacques Velly

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